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L'échiquier de l'ombre - géopolitique

Blog de synthèse et de décryptage de l'actualité géopolitique.

Khashoggi : vers une balkanisation du Moyen-Orient ?

Khashoggi : vers une balkanisation du Moyen-Orient ?

Jamal Khashoggi, journaliste saoudien exilé, a été assassiné à Istanbul le 2 octobre par un groupe de 15 militaires, certains très proches du prince héritier Mohammed ben Salmane. L'affaire, que le Président turc Recep Erdogan exploite à son avantage, prend la proportion qu'aurait dû prendre la guerre au Yémen et expose une situation semblable à celle des Balkans peu avant 1914.

Des événements négligeables peuvent provoquer des conséquences à grande échelle. C'est l'idée qui sous-tend l'assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi. Tout comme l'attentat de Sarajevo a fait effet de catalyseur dans l'éclatement des Balkans, entraînant ensuite le déclenchement de la Première Guerre mondiale, le meurtre du journaliste saoudien peut provoquer une conflagration au Moyen-Orient. La mort de l'Archiduc Ferdinand n'a fait qu'accélérer un processus considéré par certains, l'historien français Jean-Paul Bled en fait partie, comme inévitable.

Journaliste, exilé du Royaume depuis 2017, souvent publié dans le Washington Post, Jamal Khashoggi était un opposant au prince héritier Mohammed ben Salmane -MBS-. Il militait pour un changement démocratique de régime. Mais il n'a jamais été le promoteur d'acte violent à l'encontre de la monarchie au pouvoir, précision qu’il avait jugée utile d’apporter. Il décelait une idéologie rétrograde derrière l'apparence progressiste de MBS. Cette même apparence vantée par la Maison-Blanche pour justifier la continuité de l'alliance avec Riyad. Mais chassez le naturel et il revient au galop.

Le meurtre de Jamal Khashoggi s'est déroulé au consulat saoudien d'Istanbul le 2 octobre. Le journaliste exilé s’y trouvait pour signer des documents administratifs. Une quinzaine d'individus, arrivés dans la capitale turque par avion dans la nuit, ont pénétré dans l’enceinte du bâtiment.
Selon des informations d'AirNav RadarBox, une entreprise privée qui suit les vols privés et commerciaux partout dans le monde, les deux jets ont décollé du royaume de la maison des Saoud. Certains des suspects sont déjà identifiés, le plus connu étant Maher Abdilaziz Mutreb, garde du corps du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane et très souvent photographié à ses côtés lors de divers déplacements.

Le royaume saoudien a dans un premier temps tenté la technique de l’autruche : « ah bon, un journaliste a disparu ? ». Avant de sortir la tête du sol et reconnaître, 3 semaines après, que son meurtre avait bien eu lieu. Mais assassiner un journaliste dans la capitale turque n'est pas une action entièrement réfléchie : impossible de minimiser le crime en une "rixe qui a mal tourné". Surtout à ce niveau de « finesse » dans l’exécution du meurtre.

D’autant plus que les apparences sont trompeuses, comme souvent au Moyen-Orient. La narrative israélienne et saoudienne pointe l’Iran comme menace dans la région. Il n’est pas étonnant de retrouver des médias pro-saoudien ou des faucons américains lancer si tôt la piste d’un false flag iranien dans le meurtre de Khashoggi. Mais c’est négliger la rivalité historique et idéologique entre la Turquie et l’Arabie Saoudite qui va plus loin qu’une simple logique d’opposition entre shiite et sunnite, comme l’explique de façon concise cet article -en anglais. Ce sont deux conceptions politiques de l'islam qui s'affrontent.

Cette affaire est du pain béni pour Erdogan, lui qui entend rendre sa grandeur d’antan à la Turquie. Chaque occasion est bonne à prendre au Moyen-Orient. Car Ankara le sait, tout comme Téhéran l’a appris à ses dépens pendant la guerre contre l’Irak : on ne peut compter que sur soi-même. Erdogan est une toupie ambitieuse, il l'a montré vis-à-vis de la Russie, de la Syrie, du Qatar et de ses "alliés" de l'OTAN, se tournant tantôt vers l'un pour mieux se retourner contre l’autre.
La presse turque délivre au compte-gouttes de nouvelles informations sur le meurtre du journaliste. Plus les Saoud, menés par MBS, tarderont à trouver un accord, plus Erdogan utilisera les bandes audios, les vidéos du meurtre et autres cartes dans sa manche pour faire agoniser sa victime. A la manière d’une méthode de torture et d’exécution, le supplice du pal, employée dans l'Empire ottoman

Le Président turc, qui se voit déjà Sultan, s'appuie sur cette affaire pour asseoir ses ambitions régionales. Les mêmes qui prennent formes en Syrie avec l’accord tripartite concernant la libération de la région d’Idlib. Occupée par les rebelles, des barbus auparavant soutenus par Ankara pour permettre à Erdogan de se tailler son pré carré en Syrie, la zone est désormais sous "responsabilité" turque jusqu’à fin 2018.
Ou sur la question du Qatar,
autre accrochage entre Erdogan et MBS, qui a montré que la Turquie a toujours du poids dans la région et n’a pas peur de s’en servir.

En visant le royaume saoudien, ce sont également les Etats-Unis qui sont touchés par ricochet. Erdogan met en exergue la situation intenable dans laquelle se trouve la Maison-Blanche, et des pays comme l'Allemagne ou la France, qui ont un besoin vital de profiter du pétrole saoudien mais aussi du soutien turc dans le cadre de l’OTAN. Et accessoirement de vendre des armes qui servent en ce moment même au massacre qui a lieu au Yémen. Angela Merkel a réglé la question en décidant d’interrompre les livraisons d’armements à Riyad. Les atteintes aux droits de l'Homme n’avaient jusqu'à présent pas tant posé de problèmes dans le commerce avec le royaume des Saoud.

Mais le paysage géopolitique a changé. Qui mieux que Trump peut incarner cette nouvelle ère ? Dans la lutte politique intestine du pays de l’Oncle Sam, tout est bon pour saper l’autorité du POTUS -President Of The United States- et le mettre dans une situation embarrassante.
Donald Trump tente de minimiser l’événement pour garantir la pérennité des échanges entre les deux pays. Une relation vitale à la bonne santé économique des US : le Royaume est l’allié labellisé « réservoir de pétrole » au pays de l’Oncle Sam. Impossible de compter sur la Russie, l’Iran, le Venezuela … La maison des Saoud est la seule piste viable.
La grande majorité des démocrates mais aussi des républicains, se sont retrouvés à assumer une position nouvelle : finalement l’alliance avec l’Arabie Saoudite n’est plus si vitale lorsque MBS commence à ordonner l’assassinat sauvage d’un journaliste.
Tant bien même les deux camps politiques se sont toujours efforcés ces 20 dernières années à cultiver la relation nouée avec l’Arabie Saoudite. Même lors de l’un des pires moments de l’histoire américaine qu’est le 11 septembre.

Et les divisions ne font que commencer. Les investisseurs comme Goldman Sachs se retirent, ou menacent de se retirer du projet FII -Futur Investment Initiative- du prince héritier. Un programme, aux côtés de Vision 2030, qui était la vitrine de la personnalité progressiste de MBS.
Trump, très lié à l'Arabie Saoudite et à Israël via son gendre Jared Kushner, avance dans un flou artistique "made in Saudia Arabia". Sa vision à court terme d’homme d’affaires ne l’aidera pas dans cette situation. Il est peu à peu obligé d’entamer une charge contre le prince saoudien, tant le contrôle qu’a Erdogan sur la médiatisation de l’affaire est colossal. Encore une fois les Etats-Unis s’attaquent à un ami, la main forcée indirectement par un de ses subordonnés dans l’OTAN. Car, entre autres, le camp occidental s’est embourbé depuis 100 ans dans une région qu’il peine à comprendre, la découpant grossièrement tel un morceau de viande à la "balkanaise". Une véritable aubaine pour la Chine et la Russie.

La stratégie chinoise tirée des enseignements de Confucius, consiste à reboucher les trous créés dans le sol par ses adversaires, telle la pluie se faufilant au travers de chaque interstice. Le moins que l'on puisse dire, c'est que Pékin dispose d'une pléthore de brèches béantes créées par l'Occident, bien aidé par Erdogan sur cette affaire, sans oublier MBS. A tel point que le sol se dérobe sous les fondations de la stratégie américaine au Moyen-Orient. Après l’échec « Assad must go », le début du « MBS must go » ?
Les sanctions contre l'Iran ? Le pays des Shahs a atteint un record d'exportation d'or noir vers la Chine. Les sanctions contre la Russie ? Elles ont renforcé des pans entiers de l'économie russe, agriculture en tête. Maintenant, le POTUS menace Riyad de sanctions , qui répond de manière cinglante : toute sanction prise contre le pays se verra accorder une contre-mesure plus terrible encore. Ce qui va légèrement plus loin que le principe de réponse symétrique du Kremlin. D’autant que les promesses d’achats d’armes à l’allié Etatsunien se révèlent être très décevantes. Peut-être bientôt l’Arabie Saoudite rejoindra le banc des moutons noirs de la communauté internationale.
Chaque nouvelle cible choisie par les Etats-Unis profite à la Russie et encore plus à la Chine, qui a déjà réussi à grimper une marche importante à l'OCS -Organisation de Coopération de Shanghai- en faisant s’asseoir l’Inde et le Pakistan à la table des discussions, bien que les frères ennemis ne soient pas encore main dans la main.

Il est trop tôt pour dire si l’affaire suivra le chemin de la diplomatie, ou au contraire déclenchera une réaction en chaîne. Erdogan n’a pas joué toutes ses cartes et MBS n’a peut-être pas encore pris conscience de la tempête qui se forme à ses portes. Ses ennemis sont devant les murs, et ses alliés sont prêts à saccager l’intérieur de l’enceinte. C'est toujours d'une étincelle que prend le feu. Les négociations vont s’intensifier tout comme les tractations : loin des yeux et loin des oreilles. Ankara comme Washington peuvent rendre la vie de MBS infernale. Mais la Maison-Blanche le sait, l'Arabie Saoudite est vitale pour les Etats-Unis. Malheureusement, la logique et la raison ne sont pas le point fort de l'Occident lors de ses interventions au Moyen-Orient. Tout comme dans les Balkans, où l'OTAN commence à refaire des siennes en Macédoine.

 

-C'est vrai que mon mur je l'ai peut-être monté sans vous demander la permission.
-Non mais vous avez bien fait, si fallait demander toutes les autorisations on ferait jamais rien.
-Mais tout à fait, puis comme j'dis toujours, un mur, ça se monte et ça s'démonte.
-Ah ben bien sûr, puis moi si un jour j'en ai marre, j'y mets deux trois coups de masse au bazar et on en parle plus.
-Mais tout à fait, j'vous donnerai la main, j'en ai une de masse chez moi, comme ça j'en profiterai pour vous en mettre un coup dans la gueule.

Kaamelott, Guethenoc et Roparzh.

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L
Un excellent article, vraiment, très pédagogique !
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